Des reporters complices des talibans?

J'avais le choix ce soir d'écrire plusieurs billets, quand relisant les messages reçus dans la journée je m'aperçus que je n'avais pas répondu en totalité à l'un d'entre eux me demandant ce que je pouvais dire au sujet des talibans se pavanant dans les treillis des soldats dépouillés, tués sur le sol afghan. Ma correspondante -qu'il m'arrive parfois, avec plus de raisons ce soir, d'appeler "ma muse"- s'offusquait des images diffusées sur le JT de vingt heures. Je n'ai pas vu ce reportage mais pu contempler avec tristesse quelques photos jetées sur internet pour appâter le lecteur des prétendus journalistes galopant après l'audience.

On pourra me dire ce qu'on voudra, ce reportage est un leurre. Oh! non pas que je doute de sa réalité, les faits malheureusement sont trop réels pour les mettre en doute, mais participe d'une espèce de réjouissance à enluminer des hommes partisans de l'obscurantisme, souiller la mémoire de soldats morts, décrédibiliser une politique définie par l'ONU puis soutenue par l'OTAN, surtout aviver la douleur des familles au prétexte fallacieux d'une vérité à dévoiler.

On le savait que certains de ces morts avaient été dépouillés de leur treillis, de leurs armes et de leurs objets personnels. On savait que leurs cadavres avaient été profanés par des guerriers sans scrupules. On savait que ces actes barbares furent de tout temps commis par les hordes de mercenaires sans dignité. On savait tout cela, les familles le savaient et n'avaient pas souhaité que ce fut divulgué. On le savait mais il fallait en rajouter dans l'horreur, et j'ai pu lire quelques commentaires s'enthousiasmant à la vision de ce soit-disant scoop.

Ce qu'ils oublient ces spectateurs avachis dans leur canapé, c'est que devant ces images il y avait aussi des mères et des pères qui certainement ont pleuré en reconnaissant le treillis de leur enfant, arraché de son corps mutilé, profané puis endossé par ces tristes soudards se pavanant comme des paons, visage masqué, devant le voyeurisme infâme d'une caméra sans âme ni raison, offrant au monde entier le reflet d'une dépouille objet de leur tourment. Nos reporters ne valent guère mieux que ceux qu'ils filmaient, talibans parmi les talibans.

Peut-on s'imaginer ce que c'est que de perdre un enfant, puis de voir ses vêtements portés par celui-là même qui le fit disparaître? C'est tout simplement revoir, encore et encore, l'instant fatal de sa mort, le film tragique de l'événement. C'est mettre un visage chéri à jamais enfui sur le pantin se dandinant devant soi, poussant à l'extrême le machiavélisme de l'ironie, de l'injure et du dédain. Est-ce trop demander que soit respectée la douleur d'une mère? Est-il à ce point impossible, de nos jours, d'agir avec pudeur, compassion et honneur? Deux reporters se sont faits les complices de cette abomination pour le plaisir de quelques lecteurs et non pour apporter leur contribution à la recherche d'une vérité qu'on connaissait déjà.

Je vais vous dire ce que d'autres hommes, humbles parmi les humbles, peuvent aussi, à l'inverse, montrer l'exemple de ce qu'est le respect et la dignité.

Dans ce coin de désert perdu du Sinaï où nous sommes allés nous recueillir en mai dernier, les enquêteurs français venus sur le lieu du crash d'un petit avion de reconnaissance, n'avaient pas emportés tous les restes de l'épave. Des débris de métal fondu, mais aussi de carlingue intact subsistaient sur le sable blanc du désert. Nous trouvâmes même un morceau de combinaison avec sa fermeture éclair et d'autres restes. Parmi ceux-ci, déposés près d'une espèce de stèle faite de branches plantées dans le sable, reposaient, délicatement entassés, deux fragments de boîte crânienne et un d'os long portant quelques traces de brûlure.

Les bédouins du petit village sans nom, proche du lieu de l'accident, avaient ramassé un à un, au hasard de leur découverte, ces restes épars pour les entreposer ensemble et dresser cette sorte de mausolée. Ce n'était pas le tombeau somptueux qu'Artémise avait fait ériger pour son époux; rudimentaire, rustique, bâti sans autres moyens que ceux, rares, à leur disposition, les bédouins, ces farouches guerriers en lutte aujourd'hui avec le pouvoir central égyptien, avaient mis toute leur âme dans cette ébauche de sanctuaire.

Combien d'entre nous auraient ainsi respecté ces restes humains, peut-être ceux de mon fils ou de l'un de ses camarades?

Commentaires

Anonyme a dit…
Kezako, Patrick ??? Pudeur, compassion, honneur ??? Ces mots auraient-ils encore cours de nos jours ???
 
Je préférais ce temps là. Oui, oui, je sais.......... c'était mieux avant.......... Et si vous saviez à quel point !!!
(mais, je divague....... vous le savez bien, vous, à quel point c'était bien !!!!)
Par contre, j'vous kiffe grave, c'est actuel ! Et Sam Plaie !
Des bises crépusculaires. Y'a rien d'autre à faire......