La preuve par trois relaxes.

Il y a des procureurs qui ont la trempe d'un Philippe Bilger, lui qui écrivait dans l'un de ses billets "Je ne tolérerai jamais qu'un Garde des Sceaux puisse venir se pencher sur mon épaule me dicter ce que j'ai à requérir", eux les défenseurs des lois de la République. Sont-ils si rares? Je ne sais et quoi qu'il en soit je me permets, malgré ma faiblesse lombaire, de les saluer respectueusement jusqu'à terre. Mais il y a aussi des ministres de passage qui organisaient, ou organise, des réunions pédagogiques, comme les nomme Serge Portelli dans son dernier billet, avec les plus mauvais d'entre eux en terme de répression, ou plutôt dans l'application imparfaite des peines-plancher. C'est l'heure des comptes et des bilans, des explications, des consignes et des sermons, les prisons n'étant pas suffisamment bondées sans doute. C'est oublier un peu vite que si le procureur requiert, c'est quand même le juge qui décide des peines à appliquer. A moins de penser que ce dernier n'est qu'un faire-valoir, une potiche, un élément du décor, un trompe-l'oeil donnant l'illusion qu'on rend la justice dans le prétoire.
Puisqu'on parle de justice, que signifie cet acharnement à vouloir faire condamner le rappeur Mohamed Bourokba, dit Hamé, du groupe "La Rumeur"? Dans un article écrit en 2002, "L'insécurité sous la plume d'un barbare", il écrivait que "les rapports du ministère de l'intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu'aucun des assassins n'ait été inquiété". Le ministre de l'intérieur de l'époque, un certain Sarkozy -et c'était après tout son droit- porte l'affaire devant les tribunaux. Le Tribunal de Grande Instance de Paris relaxe le rappeur en 2004, le procureur ayant requis en ce sens; ce même procureur qui, on se demande bien pourquoi, quelques jours après interjette appel! La cour d'appel de Paris confirme la relaxe. Le parquet se pourvoit alors en cassation. La cour cassant le jugement, les parties sont renvoyées devant la cour d'appel de Versailles qui confirme la relaxe le 23 septembre dernier. L'avocat de la défense pensait en rester là, trois relaxes prononcées par trois juridictions différentes, étant quand même la preuve que les juges avaient fait une analyse sereine des propos et divergente du parquet. Las! Un nouveau pourvoi en cassation, formé trois jours plus tard par le procureur de Versailles, renvoie tout le monde vers la douceur froide d'une salle d'audience.
Quel entêtement! Quelle insistance! Quelle obstination! Quelle ténacité! C'est assez rare pour mériter des louanges, une telle constance. Si rare, qu'aux dires de l'avocat, ce serait du jamais vu; une première en quelque sorte, avant le spectacle qu'on voudrait offrir aux adversaires de la libre parole et de l'indépendance de la magistrature.
A moins de vouloir apporter la preuve que la justice ne doit plus se rendre dans les tribunaux. Si j'étais un tant soit peu pervers, je verrais bien une relation de cause à effet dans la suppression annoncée de quelques uns d'entre eux; mais j'affabule, d'ailleurs le chêne qui doit les remplacer n'est pas encore planté, et n'est pas Saint-Louis qui veut.


Commentaires