Les jours de fête.

Finalement, les commémorations sont-elles utiles? Si je me pose la question, c'est que je ne suis pas certain de la réponse. Lorsque je faisais activement partie de cet univers où il faut désormais travailler beaucoup pour gagner peu, j'attendais, je l'avoue, comme la plupart de mes compagnons d'infortune l'aubaine des jours chômés, allant parfois jusqu'à l'analyse subtile des possibilités offertes en cumulant jours fériés et fin de semaine. Qui n'a pas, à l'achat ou à l'offre d'un agenda, feuilleté d'une main impatiente les pages légèrement retenues par la dorure des tranches et posé un regard compulsif sur les semaines défilant chaque début d'année? J'exagère à peine, et la fermeture du calepin de cuir s'accompagnait, selon les temps, de bonne ou mauvaise appréciation.
Pour une majorité de nos contemporains, les jours fériés, qu'ils soient de commémoration, de fêtes laïques ou religieuses, ne sont guère autre chose. Mis à part les fervents qui défilent pour le 1 er mai ou s'agenouillent le jour du 15 août, combien sont-ils encore à venir se grouper autour des monuments aux morts ou autres stèles commémoratives? L'erreur sans doute consista-t-elle à faire une addition de ces jours sans jamais en supprimer. Il faudra bien pourtant penser à autre chose. Songe-t-on à fêter toutes les guerres du passé, de la fin de celle de cent ans à celle de soixante dix? Pourquoi, dès lors, ne pas aussi commémorer ce passage d'une époque à une autre que fut mai soixante huit? Tout cela ne représente plus grand-chose pour les enfants d'aujourd'hui dont les préoccupations sont ailleurs et qui seraient peut-être heureux de fêter d'autres événements, comme la conquête de l'espace par exemple ou l'avènement de l'informatique. Pourquoi pas, après tout? Seulement si l'on ajoute des fêtes à celles existantes, les semaines vont devenir de longs dimanches.
Les dimanches, les beaux dimanches où l'on vivait selon l'humeur, de la grasse matinée à la promenade au bord de l'eau, de la messe à la partie de chasse, du bricolage au repas de famille, du sport en chambre à l'ennui langoureux, ces dimanches qu'on attendait pour respirer un air de liberté, que vont-ils devenir sous les assauts belliqueux de ceux qui pensent nous gouverner? Sous couvert d'une liberté trompeuse, nos hiérarques souhaitent les voir eux-aussi lentement disparaître.
S'il est vrai que certaines activités nécessitent une présence dominicale, elle revêt un caractère particulier, une ambiance spécifique, une acceptation implicite, une indispensable exigence, une utilité, une obligation. Loin, très loin de cette nécessité les arguties qu'on nous assène pour justifier les ouvertures de commerces et sans doute en prolongement celles des administrations et toutes entreprises qui le souhaiteront.
Etes-vous allés vous promener un de ces dimanches aux ouvertures permises? La foule baguenaude le long des rues tel un public visitant un zoo où des vendeuses derrière des vitrines regardent d'hypothétiques acheteurs. Ces jours de liesse, les recettes sont nulles mais les frais courent pour parler comptable.
Alors que cherche-t-on au juste à vouloir que cessent ces moments de détente, dimanches et jours fériés? On sait bien que les temps de loisir sont temps de réflexion. L'homme courbé sous la tâche ne manigance pas, ne complote pas, ne critique pas. Quand bien même aurait-il quelques velléités de révolte, sa colère bridée par les gestes à accomplir ne se concrétise pas, ou alors ultérieurement; mais plus tard il faut recommencer, encore et toujours.
Plus que de permettre des salaires décents on souhaite abrutir les masses afin qu'elles ne pensent plus et les diriger à sa guise.
Un moteur qui ne s'arrête jamais finit en surchauffe. Alors pour le refroidir les dimanches et jours fériés, commémorations ou fêtes, sont utiles, nécessaires, et finalement indispensables.

Commentaires

Anonyme a dit…
Bonjour Patrick,

Travailler, telles des bêtes de somme... Je n'y arrive plus. Je ne suis plus capable de donner le change.. Je rentre le soir en me disant : Quel temps perdu !
Il me reste encore à tenir quelques semaines... et après, j'en passerai quelques unes à rêver.. avant que les obligations terrestres n'envahissent ma tête.

Bises, Patrick. Les plus affectueuses qui soient.
Patrick Pike a dit…
J'ai connu, ma mistou, ces questions angoissantes. Dois-je dire aujourd'hui que je les regrette avec un brin de nostalgie? En réalité nul n'est jamais satisfait de ce qu'il fait, quand bien même la vocation existait au début. Il arrive toujours un temps où la lassitude vous prend; la vie est par trop répétitive parfois.
Il faut se créer un autre univers, parallèle, où le rêve prend sa place et nous fait oublier le réel, ne serait-ce que quelques heures.
Mais nous pourrons en reparler, plus longuement.
Le temps, mistou, n'est jamais perdu, il se retrouve au coin des petits bonheurs qu'on prend ou qu'on se donne.
Bises, ma mistou, affectueuses et pleines de courage et de volonté.