Sans commentaire!

Le récent épisode de l'affaire opposant Xavier Niel, fondateur de Free, à Vittorio de Filippis, journaliste à Libé et ex pdg du journal, soulève un sujet épineux qui deviendra récurrent, et sur lequel nombreux seront ceux qui s'y empaleront, si le législateur continue d'ignorer les mutations opérées sur internet depuis quelques années. Un autre cas avait, en son temps, déchaîné les passions, celui de Fuzz.fr, attaqué par l'acteur Olivier Martinez, condamné par la justice pour atteinte à la vie privée envers ce dernier. Cette condamnation vient d'être annulée par la Cour d'appel de Paris.
A l'heure actuelle, la loi fait le distinguo entre fournisseurs d'accès et hébergeurs, qui ne sont pas tenus responsables, sauf s'ils refusent de les enlever, des propos émis sur les sites transitant par leurs serveurs, à la différence des éditeurs, c'est à dire ceux qui façonnent le contenu des sites et blogues, qui sont considérés comme comptables de leur teneur et y compris de la prose émanant des commentaires. Aujourd'hui, celui qui écrit un commentaire n'est pas reconnu comme éditeur et c'est l'auteur du billet commenté qui le demeure. Si tel n'était pas le cas ce dernier ne serait dès lors qu'un hébergeur et, de facto, non pénalement responsable. Ce qui, à mon sens, devrait être la règle. Seul celui qui écrit ne devant endosser la tunique du justiciable.
Si le législateur n'envisage pas de remodeler cet aspect de la communication qui s'est établi depuis peu et se développe à vitesse supersonique, cela signifie que les éditeurs -dont celui qui écrit ces lignes fait partie- qu'ils soient professionnels ou amateurs, seront amenés à envisager des règles strictes dont on commence à voir les méthodes, comme modération à priori des commentaires ou suppression pure et simple de ceux-ci, ce qui à terme, par l'ennui et la convenance qui redeviendront le quotidien, mettra en péril la pérennité du dialogue continu qu'offrent ces espaces de liberté. Certains Cassandre prédisent déjà la disparition, à tout le moins la baisse sensible, des blogues.
Cette fabuleuse porte qui s'est ouverte sur un monde de dialogue et de liberté risque de se refermer au détriment de ceux-là mêmes qui n'auront pas su jauger leur capacité à réfréner leur enthousiasme, agissant comme des enfants sans maître, ivres soudain de cette apparente liberté.
Un autre phénomène, sur lequel je me suis déjà exprimé et que je combats, est celui de l'anonymat. Celui-ci permet tout, de la confidence amoureuse à la haine farouche; dès qu'il sort de la décence il devient intolérable, et ce n'est pas parce que l'on se masque derrière un pseudonyme qu'il est nécessaire de lâcher ses sphincters, tout comme de se montrer au jour n'empêche pas de dire ce que l'on pense de manière forte, mais courtoise. Le langage est quelque chose qui s'apprend et les périphrases ont souvent plus de poids qu'une injure écrasée sous la semelle du dédain. Je respecte l'anonymat lorsqu'il apporte contradiction, enseignement, réflexion, opinion, ou encore humeur, je le récuse lorsqu'il s'apparente à la prose d'un corbeau. L'insulte, la diffamation, la grossièreté n'apportent rien dans un débat, sinon le transformer en pugilat s'achevant devant un juge, ou en propos de café de village sans intérêt.
Si la justice rend des sentences qui nous paraissent outrancières à juste raison parfois, comme dans les deux affaires précédemment citées, ne lui jetons pas nécessairement l'hermine au visage, la législation actuelle reste muette sur le sujet et relève pour chaque cas de la seule appréciation du juge, à savoir, le commentaire fait-il partie du texte de l'auteur du billet ou non.
Si nous voulons ne pas briser ce merveilleux jouet que la technologie nous offre, il serait temps de nous en servir correctement, même avant que la loi ne vienne y mettre bon ordre. Il suffit de si peu, ne pas se comporter comme des enfants vulgaires.