Entropa, grotesque et vulgaire.


Qu'est-ce l'art? Ce n'est pas une copie, mais la transposition du réel dans l'imaginaire. C'est du moins la conception que j'en ai, avec sa finalité, la sublimation esthétique de l'objet qui le transcende en œuvre d'art. Hegel y voyait l'expression sensible de la vérité.
La République tchèque, pour inaugurer le début de sa présidence de l'Union Européenne, a demandé à David Cerny de coordonner l'élaboration d'une œuvre monumentale, chaque pays stéréotypé par l'un de ses artistes. L'exposition trône à Bruxelles sous le portique du Conseil des ministres.
Cerny s'est fait connaître en peignant de rose bonbon un char russe exposé à Prague, déclenchant l'ire moscovite et l'expédiant en prison. A vrai dire, il n'y avait là rien d'extraordinaire, sinon le passage à l'acte d'une intention que caressent d'innombrables adolescents en mal de s'extérioriser. Toutefois quelques unes de ses œuvres sont originales, telle celle de Venceslas, fièrement assis sur le ventre de son cheval mort suspendu par les pattes. L'iconoclaste se rit de tout. Et ma foi, si l'œuvre dégage la beauté, l'esthétisme nécessaire à la captation de cette vérité éclatant comme une évidence, enfin, dans l'esprit attentif à sa représentation, je ne trouve rien à y redire, sinon à la contempler et m'évader dans les méandres de mon imagination, palpant l'indéfinissable, subodorant l'inexprimable.
Ce que ne permet en aucun cas l'œuvre prétendue, présentée à Bruxelles. Il y a ici deux escroqueries.
La première, et sans doute la plus insignifiante, le fait qu'elle fut réalisée par Cerny lui-même, et seul, au contraire du cahier des charges que lui avait assigné le pouvoir tchèque, et accepté par l'artiste. Aucun plasticien issu des autres pays de l'Union ne participa à la création d'Entropa. Cette supercherie, banale somme toute, démontre le peu de cas que peut faire un mégalomane des contrats qu'il accepte. Les exemples sont nombreux, et notamment en politique, où les promesses émises sont rarement tenues et détournées au profit de celui qui les fit. Mais l'art ne se nourrit pas de politique, et le respect, s'il est absent de la conscience de ceux qui nous gouvernent, devrait au moins subsister dans celle de ceux qui veulent démontrer la bassesse des politiciens. Ce n'est pas en agissant à l'identique qu'on restaurera une image dévoyée de la société; c'est faire jeu égal et abaisser l'art —si tant est qu'on puisse nommer ainsi cet étalage qui ressemble à un panneau publicitaire— au rang de la moquerie, et je ne dis pas de l'humour.
La seconde escroquerie est précisément cet aspect de l'œuvre dont on voudrait nous faire accroire qu'elle se nourrit d'esthétisme. Exposer les contours de chaque pays, sauf un, la Grande Bretagne dont la place vide symboliserait sa participation aléatoire à l'Europe, en incluant dans leurs frontières la thématique qu'on leur suppose représentative, mais du niveau du caniveau, ne s'apparente même pas à la caricature, mais à la stupidité et la vulgarité. Loin de valoriser les caractères propres des peuples européens, ce panneau sans âme les ravale au rang de la médiocrité et de la mesquinerie. L'artiste qui s'exprime dans sa création met toujours une part de lui-même, y compris les caricaturistes dont quelques uns ont fait preuve de génie. Quand bien même me dirait-on qu'en aucun cas il ne s'agit d'une œuvre d'art, mais seulement la photo, le stéréotype de chaque nation, je n'y verrai toujours que le reflet d'une pensée, d'une vue plutôt, étriquée, vulgaire, racoleuse et sans aucun intérêt. Il eut été suffisant, moins coûteux et sans doute plus satisfaisant de faire appel aux enfants des classes primaires d'Europe pour obtenir une image de leur terre autrement plus représentative, symbolique, esthétique que ce néant sans poésie.
La création (?) de Cerny n'est que néant, à l'image de son artisan.

Commentaires

olhodopombo a dit…
Terrible!