La crainte, le rideau de l'avenir.


Van Gogh - "Les mangeurs de pommes de terre" - 1885, huile sur toile - Amsterdam, Musée Van Gogh

Lorsque Parmentier rédigea son mémoire sur la pomme de terre, en 1771, sa culture en était interdite par le Parlement depuis 1748. On l'accusait de tous les maux, notamment d'empêcher le blé de pousser et plus grave encore, de donner la lèpre. Ces préjugés s'éternisèrent jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Pourtant la faculté de médecine avait conclu que la consommation de la pomme de terre ne présentait aucun danger dès 1772. Les croyances sont tenaces et les peurs induites plus encore. 

L'inconnu a toujours épouvanté les hommes ; ce que le professeur Apfelbaum nomme aujourd'hui la néophobie, ce rejet de la nouveauté dû, en matière alimentaire, au comportement omnivore de l'espèce humaine et à sa mémoire génétique l'incitant à refuser ce qui rompt ses habitudes. Il fallut à Parmentier l'aide de Louis XVI, treize années plus tard, pour qu'il puisse développer la culture du tubercule tant honni, évitant des famines récurrentes.
Il est remarquable de noter que rien n'a guère changer dans l'attitude contemporaine face aux multiples bouleversements que la science nous offre, tant sur le plan nutritionnel que sur celui des avancées technologiques. Réjouissons-nous cependant de voir un nombre croissant de scientifiques s'élever avec colère contre les fantasmes de ces ignorants qui dénigrent sans cesse leurs travaux
ou les accusent de connivence avec l'industrie. Ainsi les chercheurs de l'Afsaa dont on a dit pis que pendre, qui se rebellent contre ces attaques infamantes et dénuées de fondement.
De quelque côté que l'on se tourne, le rejet devient systématique. OGM, nourriture, vaccins, produits chimiques, éolienne, nucléaire, ondes, transports, déplacements et j'en passe. Tout devient sujet d'angoisse, de panique mais surtout de volonté de nuire envers ceux dont la raison est plus sereine. 

A entendre ces adeptes du freinage, nous nous étonnons que tant d'humains subsistent encore sur la planète malgré les périls auxquels nul n'échappe. Il faudrait revenir à l'époque de Galilée, se replier sur son lopin de terre, se lover dans une bulle, un cocon. Un cloître devient leur univers. L'étroitesse est leur monastère. La mesquinerie leur religion.
L'exemple est galvaudé, l'image éculée, mais tellement symptomatique de cette imbécillité qui consistait à ne vouloir considérer rien autre chose qu'un danger, une calamité, une catastrophe planétaire, celui du rejet des locomotives à vapeur au dix-neuvième siècle. Que n'a-t-on dit alors? Mais tout est dangereux, rien n'échappe à cet étau qui nous presse dans tous les actes de notre quotidien. Et que ne dit-on aujourd'hui? Et la justice qui s'en mêle dans ces derniers avatars, condamnant les opérateurs téléphoniques à démonter leurs antennes. Si sur le plan esthétique je conçois qu'on peut mieux faire —mais nos bons vieux châteaux d'eau sont-ils plus artistiques et moins dangereux?— il est prouvé qu'elles ne sont pas une menace pour la santé. On m'opposera, j'en suis convaincu, comme exemple prégnant d'une nécessaire interdiction, les fibres d'amiante qui, dangereuses à l'état libre, ne le sont pas plus qu'un gilet en coton —dont les fibres, elles aussi provoquent des pathologies sur ceux qui les manipulent— lorsqu'elles sont emprisonnées dans une gangue protectrice. Toute évolution a son revers. Le feu brûle, mais domestiqué il permit à l'espèce humaine d'émerger vers une plus haute destinée que celle qui semblait être son horizon; grâce à ce feu on peut faire bouillir de l'eau pour détruire les bactéries, mais aussi s'ébouillanter. Ces propos peuvent paraître simplistes, mais ils sont la réalité et dès lors il faudrait tout interdire au prétexte d'un danger potentiel, sous-jacent.
Quoi qu'on en ait, la confiance doit être accordée aux scientifiques. Pas cette absurde dévotion telle que l'imposèrent Auguste Comte et Berthelot dont le scientisme était devenu aussi intransigeant que l'écologisme l'est de nos jours pour ses adeptes, mais cette confiance raisonnable qui fait qu'eux seuls sont aptes à déterminer les précautions à prendre. Malheureusement le risque nul n'existe pas, et s'il faut attendre de savoir ce qui peut advenir d'une invention, d'une nouvelle technique sans jamais la mettre en expérimentation, en pratique, le temps s'écoulera sans fin avant d'en connaître les bienfaits, tout se passant comme si, lorsque Papin inventa sa machine à vapeur, il eût été nécessaire d'attendre son explosion déclenchant le drame de Tchernobyl, puisque son origine n'est pas l'explosion atomique que d'aucuns imaginent, mais la surchauffe d'une cuve où se trouvait le combustible. Fallait-il mettre sous le boisseau l'invention de Gutenberg au prétexte qu'Hitler écrirait Mein Kempf? Fallait-il ensevelir la découverte de Becquerel au prétexte que la radioactivité mutilerait les premiers radiologues?
On sait désormais qu'à tout bénéfice peut correspondre également, pour une découverte, un aspect négatif, et c'est bien la raison pour laquelle avant toute mise sur le marché des études sont menées, objectives, dont je me demande pourquoi on les met systématiquement en doute. Cela devient lassant, exaspérant, contraignant au point de faire perdre des décennies à la recherche, la stratifiant dans une léthargie que d'autres nations mettront à profit pour nous devancer. B. Obama, ne s'y est pas trompé, lui qui vient de lever les restrictions draconiennes mises en place par son prédécesseur concernant la recherche sur les cellules souches. Le retard pris par les américains en ce domaine est considérable, grâce d'ailleurs en partie par l'attitude toujours aussi rétrograde des moralisateurs et religieux qui surent influencer G.W.Bush.
Et le drame se situe à ce niveau, les gouvernants se laissent mener par le bout du bulletin de vote pour tenter de ménager la chèvre et le chou, satisfaisant celui qui crie le plus fort aux dépens de toute logique, de toute vision à long terme. Quitte à se faire accuser d'impéritie; mais ils n'en ont cure, privilégiant leur sinécure sans se soucier du futur.
Alors qu'ils devraient tout faire pour protéger la sérénité des chercheurs. N'oublions jamais que l'avenir d'une nation dépend de son enseignement et de sa recherche, en aucun cas de ses flics, en uniforme bleu ou veste verte.
La néophobie devient épidémie!

Commentaires

Anonyme a dit…
Titre: Un léger bémol...

Bonjour Patrick,

Je ne peux qu'être d'accord avec tout ce que vous développez, une seule remarque, si je reprends votre avant dernière phrase, "n'oublions jamais que l'avenir d'une nation dépend de son enseignement et de sa recherche, en aucun cas de ses flics, en uniforme bleu ou veste verte."
Ma question reste donc, à quel pays, à quelle nation, appartient par exemple le groupe Monsanto?

Ma réponse, il appartient à Monsantoland et à aucun autre pays aucune autre nation.

Quand à l'Afsaa, il lui arrive de dire certaine inespties, mais ce n'est certes pas moi qui lui adressera le premier reproche, lui reconnaissant comme à tous le droit à l'erreur, lorsqu'il n'est pas sous-tendu par quelques intérêts financiers privés bien sentis.

Pour l'instant je garde ma veste verte qui pour moi représente le contraire de l'obscurantisme, si faire respecter la loi, encourager les chercheurs à faire comprendre les intérêts de leurs recherches, est une faute ou une erreur, alors je suis un affreux jojo néophobe.

Je changerai d'avis quand certains chercheurs "sectaires" au sens étymologique du terme, arrêterons de confondre l'intérêt général et l'intérêt de leurs employeurs, car les deux ne sont pas toujours compatibles, les exemples sont là aussi nombreux. L'objection qui est souvent faite, est, "mais il faut bien qu'ils aillent dans le sens des objectifs de leurs entreprises, et puis c'est pour l'intérêt commun, notre bien, etc...", comme je l'ai déjà indiqué, je ne pense pas du tout que cela soit leur motivation première. Si tel était le cas, pensez vous que de nombreux chercheurs, tout aussi chercheurs qu'eux seraient d'un avis différent.

Je suis donc assez d'accord avec ce que vous dites, avec ce léger bémol tout de même.

Amitié,

Pierre Gaugain