Le temps des cerises.


" Quand nous en serons au temps des cerises, des gais rossignols, des merles moqueurs... " On connaît la chanson, qui ne l'a pas fredonnée un jour ou l'autre ? Oui, mais voilà, le mien, de temps des cerises est arrivé, comme l'an dernier, avec sa déclaration de guerre comme celle des revenus, tout autant exaspérante.
 

Les rapaces ne sont pas tous encore là. Déjà cependant, quelques joyeux drilles batifolant dans la ramée, de noir vêtus, procureurs narguant mon impuissance, becquetant la chair des fruits pas encore mûrs, pépiant sournois et rigolards lorsque j'approche, infirme luttant contre l'injustice, ont commencé la curée. 

Depuis peu, chaque année, mon cerisier est soumis aux attaques incessantes de mes ennemis ponctuels. Le mois de mai voit notre guerre et s'il m'arrive de gagner quelques batailles, il m'est incertain de remporter la victoire, ma présence sous l'arbre tacheté de rouge ne pouvant se prolonger au-delà de quelques minutes ; car, tel un mercenaire je lance des raids aléatoires afin de surprendre l'adversaire, celui-ci me voyant venir de loin, merles perchés qui s'égayent en virevoltant avant mon repli. Ils me connaissent les insatiables et savent qu'il n'est nul besoin d'aller bien loin pour revenir à tire d'ailes dès que j'ai le dos tourné. Ils se repaissent les cyniques, avec boulimie picorant ça et là les fruits, qui tombent un à un sur le gravier du chemin où je contemple le carnage en maugréant. Ils se gorgent du nectar, sans pudeur saccageant, ne laissant que des miettes, débris talés, éclatés, méconnaissables, pas même bons pour un mécréant. De vrais percepteurs ! J'ai tout essayé, rien n'y fait ; musique dans l'arbre, ils dansent en cadence ; bandes argentées et pétards, ils applaudissent à tire d'ailes à ce feu d'artifice ; il me faudrait rester sur place et encore, pas sûr qu'ils ne viennent me narguer en fientant comme ils le font sur la voiture si je l'oublie sous l'arbre, certains de leur impunité. J'ai beau gesticuler, m'écrier, ils évoluent dans un espace inaccessible à ma pesante colère. D'ailleurs ils n'écoutent personne ne s'attablant qu'à leur envie, leur désir, leur instinct, semblables à des ministres au pouvoir absolu.
 

Mais ce ne sont qu'escarmouches de sbires ayant campement dans les bosquets voisins. Une avant-garde ! Le pire est à venir, cerise sur le gâteau si j'ose dire, comme des conseillers en campagne, une armée nouvelle, dès que les fruits seront mûrs, bien rouges, juteux, s'abattra sur mon domaine. 

Légiférant sur câble haute-tension, les étourneaux réunis, assemblés en leur parlement champêtre, à l'appel du président du groupe, fondront, nuée sans vergogne, sur mes maigres espoirs de plaisir. En l'espace d'un instant ce troupeau arrogant, affamé, décimera les quelques rameaux encore porteurs d'avenir. Il ne restera rien, comme l'an dernier et celui d'avant, qu'un squelette aux brindilles implorant le firmament.
 

Le saccage dure depuis deux ans et je n'en vois pas la fin. Avant, mais c'était une autre époque, ces volatiles de malheur avaient plus de respect pour le partage. Ils venaient se nourrir, faire collation, mais laissaient à ceux d'en bas des grappes intactes pour calmer leurs attentes.
 

Demain ne subsisteront que des queues de cerises éparses sur le chemin et quelques noyaux de nostalgie.

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