La loi du talion pour amuse-gueule

     
Code de Hammurabi,
roi de Babylone – photo © 2009 RMN / Franck Raux

     Lorsque la justice populaire tente de substituer à celles de la République ses propres sentences, c’est que le déclin d'une société est proche. Mais le déclin ne signifie pas pour autant qu’une renaissance s’opérera immédiatement, qu’une sorte de regain, de résurrection d’après crise compensera ses comportements et l’engagera sur la voie d'une société nouvelle. La progression ne survient qu’ensuite, longtemps après que les errances, les exactions ont été disséquées, digérées pour être enfin absorbées, non pas en tant que telles, mais, comme des nutriments, élément par élément, après élimination des scories néfastes, comme autant de briques à assembler pour reconstituer la carcasse disloquée. Pour l’heure, et si je regarde les évènements actuels, je constate qu’il s’agit plus d'un retour au passé que d’un désir de progrès. Le peuple a faim de la loi du talion, son amuse-gueule. Le peuple ne croit qu’en son propre jugement. Il n'est que de lire les nombreux commentaires qui accompagnent tout article concernant le coronavirus, tant sur les théories du complot, les remèdes miracles ou le rejet non seulement des migrants mais également des autres venus de proches pays, voire de ses voisins de quartier surtout s’ils sont d’origine asiatique. Mais pas que ! 
     Les récentes polémiques à propos de la réforme des retraites en est un autre exemple. Il n’est pas ici temps d’analyser le sujet, je pense qu’il s’agit d’une bonne réforme, juste et bien plus avantageuse que le précédent système. Plutôt que la rejeter en bloc ou de tenter de saboter les débats par une inondation d’amendement, il eût été bien plus profitable de faire honnêtement d’utiles propositions. Au lieu de cela, chacun y va de ses vociférations pour le plaisir de la contradiction stérile et conserver ce qui lui apparaît comme un avantage qu’on tente sournoisement de lui soustraire. Le recours à l’article 49-3 de la constitution pour en adopter le principe va permettre aux mécontents de râler contre une solution qu’ils ont enfantée volontairement pour pouvoir précisément s’offusquer. L’inconscience de quelques opposants me laisse pantois, dont l’un, parlant pour ne rien dire, réclame la dissolution de l’assemblée. 
     Nous avions vécu ces incohérences à propos des récriminations des manifestants en gilets jaunes. Après qu’ils eurent obtenu la suppression de quelques hausses indues, le mouvement se poursuivit, d’autres doléances apparaissant spontanément et l’une d’entre elles, séditieuse au possible, réclamant la démission des élus de la République. Reflet d’une pensée démocratique inconséquente et dévoyée. Voire de sa totale absence, comblant cet état par le vide sidéral des multiples traitements proposés qu’on voulait que la constitution subît et notamment devenir cette démocratie participative inepte car ouvrant la porte aux errances législatives. 
     En matière de justice où les condamnations sont définitives, l’absence de jugement pour cause de prescription, et notamment lorsqu’il s’agit de viols, réels ou prétendus, devient intolérable pour celles et ceux qui n’eurent pas la volonté, le cran ou les moyens de déposer plainte aux moments des faits. Je les comprends. Ces enfants devenus adultes, ou l’étant au moment des faits, accusant sur le tard leurs bourreaux d’autrefois, ces féministes et actrices quittant bruyamment la salle où l’on vient de récompenser celui dont elles réprouvent les actes, que font-elles d’autre que vouloir remplacer la justice officielle par la leur au nom de leur douleur ou de leur compassion envers leurs semblables ? En rien je ne veux nier le traumatisme qui les poursuit, mais agir de la sorte c’est militer pour la loi du lynchage que, de plus, un ministre de la culture approuve en affirmant regretter l’hommage rendu. Nous touchons le fond ! Car, est-ce là le rôle d’un ministre que de se faire le porte-parole complice d’une sentence expéditive ? 
     Il n’est pas aisé de débattre d’un tel sujet. Au risque d’apparaître pour un infâme partisan du crime quand bien même il n’en est rien. Mais je constate que l’hystérie qui se développe à ce sujet prend une ampleur démesurée nuisible à tout raisonnement sensé, celles s’en réclamant devenant suppôts d’une justice infondée, métempirique, autour de laquelle le monde tourne, et ne comprenant ni tolérant qu’on puisse les contredire, agir à leur façon. 
     Ce ne sont là qu’exemples parmi tant d’autres auxquels il convient d’ajouter le sectarisme sous toutes ses formes, comme les condamnations sans nuances des ligues, clubs ou institutions de toute nature, au départ de louable intention, qui se fourvoient dans la condamnation systémique dès qu'un mot leur déplaît ou la fureur des fanatiques islamistes qui, semblables à leurs frères judéo-chrétiens d’autrefois, autant arriérés qu’eux, barbares, cruels, décadents, vont jusqu’à condamner à mort celles et ceux dont l’attitude, les paroles ou les actes sont en désaccord avec ce qu’ils ont décrété être la vérité. Un rien devient punissable de mort. 
     Dans « Mythologies » (Un ouvrier sympathique), Roland Barthes affirme avec raison que « …il y a beaucoup plus à attendre de la révolte des victimes que de la caricature de leurs bourreaux ». Car en effet, face aux ignominies de l’existence, il est nécessaire d’envisager des solutions plus que des condamnations devenues inutiles. 
     Les activistes ont ceci de particulier c'est qu’ils n’admettent en rien ce qui est contraire à leurs opinions, leurs dogmes, leurs rites. Aujourd’hui il y a quasiment autant d’activistes que de citoyens.

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