Une logique implacable

  
   Alexis a dix ans – dix ans et demi, précise-t-il à cet âge où vous tenaille la hâte de vieillir. C’est le plus jeune de mes petits enfants. Nous promenions le chien. Après la leçon de botanique très succincte sur la salicaire, abondante le long du chemin qui traverse le marais, nous revenions vers la maison par la petite route qui le surplombe.
  
   Au bord d’un tas de pierres se dressait une Molène Bouillon-Blanc ou herbe de Saint-Fiacre dont la graine, qui peut mettre cent ans avant de germer, l’étonna plus encore que la taille imposante de la plante. La prairie qui lui faisait face se tapissait de corolles blanches dont l’une captiva son regard.
   « Papy ! Papy ! Regarde, il y a une toute petite fleur rouge au milieu des blanches.
   – Sais-tu ce qu’elle représente ?… La bergère au milieu de ses moutons.
    – Elle est riche en moutons, alors ! »
   Je dus la cueillir, rétive à ses tentatives pourtant vigoureuses.
« C’est une achillea millefolium.

   – C’est du latin, papy ?
  – Ou achillée millefeuille, si tu préfères. On l’appelle ainsi parce qu’Achille, qui avait étudié la médecine avec le centaure Chiron, l’utilisa pour soigner ses blessures à la guerre de Troie. Tu connais Achille ?
   – J’ai entendu parler du tendon d’Achille.
   – C’est exactement cela. Mais sais-tu pourquoi on évoque le talon d’Achille ? »
   En ce dernier jour de juillet le temps s’était rafraîchi après quelques journées accablantes. Un vent léger balayait les poils du chien gambadant à droite, à gauche, humant un peu partout des odeurs attrayantes sans se préoccuper de ce que j’allais raconter. Mon petit-fils attendait la suite de l’histoire.
   Je lui expliquai donc que la mère d’Achille, la nymphe Thétis, voulut que son fils, qui n’était pas immortel comme elle, soit protégé de toute agression. Pour le rendre invulnérable elle le trempa, peu après sa naissance, dans l’eau du fleuve des enfers, le Styx, en le tenant par le talon, le seul endroit de son corps qui ainsi ne fut pas protégé.
   Voilà pourquoi le talon d’Achille signifie le point faible de quelqu’un.
   « J’ai compris, me dit-il, mais pourquoi sa mère, puisqu’elle était déesse, n’a-t-elle pas plongé avec lui dans l’eau au lieu de le tenir ? Comme ça, il aurait été entièrement protégé.
   – Ce serait logique, imparable, mais l’histoire en eût été différente. Nous ne sommes pas toujours libres d’agir comme il le faudrait. »
   Mais de cela la philosophie plus tard le lui précisera. Il lui reste encore tant à apprendre, et c’est sans doute pourquoi le temps nous semble si long à cet âge d’infinies découvertes.

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