Le Salut par les Juifs

 

« Sainte Marie Madeleine au pied de la Croix » (1829) – Eugène Delacroix – Museum of Fine Arts de Houston

   Sans doute les acteurs qui vont figurer dans le mélodrame qui va suivre furent-ils instruits comme nombre de ces écoliers apprenant la lecture par la méthode globale. C’est-à-dire qu’ils ne comprennent rien à ce qu’ils lisent dès qu’il s’agit de réfléchir un minimum, le propre des sots étant d’interpréter au premier degré, c’est-à-dire ne rien interpréter du tout et laper les mots comme un chaton le lait de sa mère, sans penser.    
   Ainsi voyons-nous qu’un antisémite notoire, Soral, croyant œuvrer pour sa cause, publie un vieil ouvrage de Léon Bloy, « Le Salut par les Juifs », que la Licra s’en émeut en y constatant des propos indignes et, croyant œuvrer pour sa cause également mais à l’inverse du fasciste, demande l’interdiction de la republication que le juge des référés de Bobigny, croyant œuvrer pour le bien commun, approuve, puis la Cour d'Appel de Paris en condamnant Soral et sa maison d'édition à une exorbitante amende. Je n’aime pas plus Soral que la Licra ou les juges. Ce sont, en l’espèce, des imbéciles dont Léon Bloy aurait pu dire : « …Identité perpétuelle en la profondeur de ces Textes Saints, dont le sens littéral scandalise tant de malfaiteurs et dont la sublime interprétation par les symboles est inaccessible à tous les goïtreux. » comme écrit chapitre XXXII du Salut, petit livre que je viens de lire.
    Léon Bloy eut dans ma bibliothèque d’adolescent une place privilégiée, mais si j’ai lu quelques uns de ses romans, j’ignorais cet opuscule paru en 1892, oublié par l’éditeur qui fit faillite, réimprimé en 1905 et dont la préface précisait qu’il était « un playdoyer purement exégétique […] que le sang qui fut versé sur la Croix pour la rédemption du genre humain, de même que celui qui est versé, chaque jour, dans le Calice du Sacrement de l’Autel, est naturellement et surnaturellement du sang juif, — l’immense fleuve du Sang Hébreu dont la source est en Abraham et l’embouchure aux Cinq Plaies du Christ. » Il s’agissait, à l’époque, d’une réponse aux insanités d’un Édouard Drumont, réel antisémite, lui, et lointain acolyte de Soral. D’ailleurs Bernard Lazare, le premier défenseur de Dreyfus, ne s’y était pas trompé, qui nomma Bloy « Un philosémite » dans l’article élogieux, et titré ainsi, qu’il lui consacra lors de la parution du Salut.
    Bref, on ne sait plus lire correctement de nos jours et dès que le mot Juif est prononcé — mais il n’est pas le seul — une avalanche d’âneries s’abat sur les esprits.
    Car le Salut est une défense du peuple hébreu qui se termine d’ailleurs par la célébration apothéotique d’Israël et non, comme le pensent les piteux acteurs cités supra, un pamphlet antisémite malgré la violence de certains chapitres qu’il faut lire, non pas comme une apologie de la haine du juif, mais comme exemple des propos émis par les racistes, propos qui seront ensuite combattus. Sorte de scolastique qu'utilisaient autrefois les théologiens pour débattre.
    D’ailleurs, à lire simplement le titre, « Le Salut par les Juifs », il était aisé de le deviner. Chose que nos protagonistes du début n’ont pas même été capables d’effectuer, alors qu’en l’occurrence il s’agissait d’interpréter sans réfléchir. Ils n’ont rien compris.
    Si vous le souhaitez, lisez-le, il est en vente dans de vieilles éditions mais vous le trouverez également sur Internet, gratuitement, notamment sur Wikisource. Au grand dam certainement des censeurs de la Licra qui lui auront fait une excellente publicité, de Soral qui va en tomber des nues et des juges qui n’en pourront mais.
    Cet épisode est symptomatique de nos sociétés qui s’enflamment souvent sans raison, sinon celle-ci, d’un manque de culture et de réflexion.
    Et puis enfin, la censure, puisqu’il s’agit bien de cela, doit-elle s’exercer sur des œuvres anciennes et plus généralement sur toute création, au prétexte que le sujet déplaît à un groupuscule exerçant son influence ? Quant aux juges qui décident, ma foi, il serait nécessaire qu’ils portassent un regard un peu plus judicieux sur la chose à juger s’ils veulent éviter de se rendre ridicules.

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