Le ministre et le cordonnier

   

T.S.F. à l'hôpital des enfants, rue de Sèvres [hôpital Necker]

   Ne croyez pas que je veuille comparer les malades de la CoVid-19 à de vieilles godasses éculées, mais lorsque j'entends le ministre de la Santé s'étrangler face aux députés qui votèrent la fin de l'État d'urgence au 14 décembre, je ne peux m'empêcher de comparer sa démarche, si je puis dire, à celle d'un cordonnier qui demanderait en hurlant de ne plus marcher au prétexte que sa boutique serait envahie par une masse de tatanes trouées, qu'il n'a plus de place pour les stocker et pas de personnel pour toutes les réparer.
   J'aurais envie de lui répondre d'agrandir sa boutique et de recruter au lieu de dépenser inutilement des milliards à subventionner ceux qu'il veut empêcher de déambuler.
   C'est en quelque sorte la réalité du confinement, cette exception dramatique qui finira par causer plus de décès qu'un Coronavirus en lui-même non mortel mais provoquant des effets connexes qui, mal maîtrisés, deviennent, eux, létaux.
   Quant à prendre pour exemples, afin de démontrer la justesse de sa colère, le sort de deux patients (jeunes ou pas d'ailleurs) atteints du virus auprès desquels se battent une cohorte de soignants qui n'en peuvent plus en affirmant qu'il s'agissait là de la réalité, je ne le contesterai en rien, mais préciserai qu'il s'agit d'une réalité hospitalière absolument normale et non de la réalité quotidienne de soixante-cinq millions de Français sains et bien-portants.
   Car enfin, si l'on constate qu'il y a des malades, parfois graves et en fin de vie, dans un hôpital, il n'y a pas lieu de s'en étonner, ni de s'en émouvoir, c'est l'endroit où on les regroupe et où l'on ne voit qu'eux, atteints de diverses pathologies dont certaines inexorables. J'aurais plein d'exemples à citer. Des services d'oncologie aux nombreux cancéreux qui râlent, de gériatrie où les escarres empestent l'atmosphère donnant un avant-goût de l'au-delà, des centres spécialisés où la sclérose en plaque plonge les patients dans le coma, alimentés par une gastrostomie qui glougloute, les services de pédiatrie où des enfants sont perfusés, de réa où des corps disloqués atterrissent, de médecine où des bactéries vous rongent les os, de néo-nat où les couveuses sont pleines de prémas ou de petits poids, des centres hélio-marins où les enfants respirent mal… tous services où il n'y a que des malades qui entrent et dont certains sortent. Bref, malades il y en a à l'hôpital, en clinique et ailleurs, c'est normal, mais heureusement l'immense majorité de la population non seulement se porte bien mais ne pénètrera dans ces locaux que pour visiter proches ou amis. Comme dans toutes les pandémies
, pour ce qui nous concerne aujourd’hui, seul un pourcentage, parfois important, de gens est contaminé. Jamais l'entière population. Il suffit d'autre part de respecter les gestes d'hygiène pour limiter la diffusion du pathogène, en plus de l'inégalité génétique qui gouverne nos vies. Et si l'on craint, rester chez soi, mais ne pas subir cette sorte d'ostracisme despotique qu'est le confinement imposé.
   D'autre part, si les gouvernements successifs ont fait preuve d'impéritie, ce n'est pas une raison pour en faire pâtir l'ensemble de la collectivité. Car il n'était pas difficile de prévoir, sachant que la population croissait et que la durée moyenne de vie s'allongeait, que les malades emprunteraient la même courbe et qu'il devenait imprudent de supprimer des lits d'hôpital, voire carrément fermer des établissements. Autrefois, lorsque la tuberculose ravageait la population et que n'existaient pas les traitements antibiotiques la guérissant, furent construits pléthore de sanatoriums pour en accueillir les poitrinaires. Aujourd'hui, pratiquement devenues inutiles, ces immenses bâtisses ont été transformées en maison de retraite, de repos, de réadaptation, de soins etc. etc. Deux conclusions s'imposent : la première est que nos ancêtres firent preuve de plus de clairvoyance que nos ministres contemporains, la seconde est la démonstration, grâce à l'intelligence, que tout peut avec bénéfice se transformer. Les sommes colossales dépensées dans les aides multiples qu'il faudra, un jour ou l'autre, rembourser, eussent été mieux utilisées dans l'urgente création d'unités destinées à soigner cet afflux temporaire de malades plutôt qu'à tuer à petit feu un plus grand nombre de bien-portants.
   Voudrait-on agir comme dans les élevages contaminés en abattant tout le cheptel, qu'on ne s'y prendrait pas autrement.

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