Le lynchage de Yuriy

La colère d'Achille, Jacques-Louis David, 1819, musée d'art Kimbell, Fort Worth

   Au-delà des sentiments de révolte, de colère et de honte qu’a pu provoquer la scène du lynchage survenu à Baugrenelle dans le 15e arrondissement de Paris sur le jeune Yuriy, celui de la vengeance ou de la réciprocité risque de nous submerger, à la manière d’Achille qui reprend les armes apprenant la mort de Patrocle, et dans un déchaînement de violence va semer la terreur parmi les Troyens qu'il massacre, avant de tuer Hector le vainqueur de son ami, apaisant ainsi sa colère.

   Mais ce sentiment est toujours celui dicté par la loi du talion, vraisemblablement cette loi que ces jeunes bourreaux appliquèrent à l’un de ceux qu’ils considérèrent comme faisant partie d’une bande rivale. Était-ce vrai, était-ce faux ? La question n’est pas là, mais dans le sens de l’honneur qui veut que l'on ne frappe pas un homme à terre, ignoré de ces barbares, ainsi que dans la Règle d’or érigée en principe depuis la nuit des temps, bafouée par beaucoup et en particulier par ces jeunes en cagoule, donc sans courage, de ne jamais faire à autrui ce qu’on n’aimerait pas qu’il nous fît.

   Notre réaction à la vue de ces images est de vouloir leur rendre la pareille, les traitant de tous les noms que la décence interdit de citer, mais raillant l’absence patente d’attributs virils dans leurs falzars, eux qui doivent se mettre à dix pour frapper un enfant, se masquant le visage signe de la fripouille, s’armant de marteau ou de batte signe de criminel lâche, nous nous disons qu’il eût été bon de se trouver là, prendre une arme et tirer dans le tas, véhiculant alors la même haine que celle qui les animât alors.

   Réaction puérile, reliquat de notre barbarie tapie dans un coin de notre mémoire de saurien. Celle qui guidait le public des jeux du cirque, jouissant, selon Paul Veyne, de voir le sang couler ou de contempler la mort d’un homme, devenant sans pitié pour réclamer celle du gladiateur vaincu si l’autre ne l’avait pas occis avant, gladiateurs romains dont Plutarque disait qu’il ne confondrait jamais ces bêtes sauvages avec les nobles gladiateurs grecs. Mémoire de saurien qui sait prendre le dessus de toute analyse critique, comme démontré par l’expérience de Milgram où plus de soixante pour cent des participants torturèrent en punition, fictivement mais l'ignorant, sous caution de la science, leur alter ego incapable de répondre à des questions basiques.

   Puis la raison nous revenant, nous souhaitons que ces jeunes soient retrouvés et punis comme il se doit. Et là encore la première réaction est de les voir expédier sans jugement vers la prison puisque rien n’existe de plus sévère.

   Enfin, l’analyse terminant la réflexion nous interroge sur la pertinence d’un tel châtiment qui n’amenda jamais ceux qui le subirent.

   Que faut-il faire alors ? Tout d’abord pour enrayer cette spirale de violence qui balaie nos villes ? Ensuite quelle sanction choisir et appliquer à l’encontre de ces criminels ?

   À la première interrogation, la violence ancrée en chacun d’entre nous n’étant, comme depuis toujours, que la seule réponse à la vacuité de l’existence, sachant que la connaissance permet le raisonnement et développe l’esprit critique, le seul remède serait de rompre l’illettrisme, l'inculture chronique qui caractérise la plupart de ces jeunes à l'esprit primaire sans idéal, sinon celui de garnir leur portefeuille en s’adonnant au trafic de drogue, fléau qui disparaîtrait par la légalisation. S’opposer d’ailleurs à ce dernier point démontre la sottise de croire en la vertu de la répression. L’interdit entraîne la volonté de l’enfreindre, par nécessité ou plaisir. Trop de contraintes encouragent à leur rejet.

   Quant aux sanctions, si la prison n’est pas, loin de là, le remède, la remplacer par des travaux d’intérêt général au long cours, structurés, encadrés, suffisamment pénibles et surtout accomplis sans exemption afin  qu’ils pussent acquérir compétence et métier, sussent ce qu’est la vie, la vraie, permettraient peut-être la diminution en nombre de ces gangsters en herbe dont quelques-uns deviendront pires, adultes devenus, s’ils y parviennent.

   Les recettes miracles n'existant pas, ces quelques réflexions peut-être aussi pour exorciser ma crainte de céder à la vindicte populaire que suscitent ces images intolérables d'un gamin se faisant massacrer par une meute de charognards se croyant hommes.

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