À léonore Moncond'huy, maire de Poitiers

 

Dessin d'enfant - Dreamstime.com (libre de droit)

    Madame,

   Sans doute avez-vous raison, si mes fils n’avaient pas rêvé en regardant tout là-haut les nuages, espérant les tutoyer, s’ils n’avaient pas lu le Petit Prince en rêvant de le rencontrer, tout là-haut sur sa petite planète, s’ils n’avaient pas rêvé s’affranchir de cette pesanteur qui nous oppresse tout au long des jours, s’ils n’avaient pas rêvé aller voir si le bleu du ciel est aussi bleu d’en haut qu’on le voit d’en bas, s’ils n’avaient pas rêvé un dimanche à Orly où je les menais, enfants, voir décoller les avions, car c’est beau un avion qui décolle lorsqu’à chaque fois l’on se dit qu’il s’agit d’un miracle de la science et du vouloir des hommes, s’ils n’avaient pas rêvé comme tout Homme rêve de partir vers l’ailleurs découvrir d’autres mondes, d’autres peuples, d’autres vies, tout pour moi eût sans doute été différent.

   Sans doute avez-vous raison.

   Ah, Madame, s’ils n’avaient pas rêvé, je ne pleurerais pas chaque jour en pensant à mon cadet, officier parti là-haut pour toujours tombant avec ses camarades un matin de mai et leur mère de s’inquiéter encore de son aîné dont la fonction à Air France participe de cette horreur. Piloter tous les deux un avion ! Horresco referens ! (1)

   Ah, oui Madame, tout eût été différent.

   Je n’aurais certes pas de larmes, et leur mère sourirait encore, mais je n’aurais pas non plus la fierté de me dire qu’ils ont accompli leur rêve. Et leur mère d’avoir été la gardienne de ce rêve.

   Ah, Madame, s’ils n’avaient pas rêvé sans doute aurions-nous l’esprit serein, mais sans doute aussi aurions-nous en arrière-pensée ce regret de ne les avoir pas connus enfants. De n’avoir pas connu cette joie dans leur regard lorsqu’ils accédèrent, l’un après l’autre, à la réalité de leur rêve.

   Car un enfant doit rêver et personne de lui dire ce à quoi doit ressembler son rêve. D’un avion, d’un train, d’une auto, d’un cheval, d’un vélo, d’un caducée, d’un code, d’un uniforme, d’une clef de sol ou de plombier, d’une sirène de pompier ou d'une palette de peintre. Que sais-je ? Peu importe. Il rêve. Et ses rêves le transportent vers ces sommets qui vous sont et vous seront à jamais inaccessibles. Et sur ces sommets il découvre l’infini, l’univers. Et de cet univers il en fait sa chose. Et de cette chose il en modèle les contours, il l’embellit, la modifie, la transpose, l’améliore afin que le monde avance, évolue. Ne régresse pas comme vous semblez le souhaiter. Nullement il n’impose aux autres son rêve ou de rêver à autre chose.

   Avez-vous des enfants, Madame ? Je ne sais, mais alors laissez-leur les rêves, ils vous en sauront gré si d’aventure ils les réalisent. Quand bien même n’y parviendraient-ils pas, subsistera du moins le bonheur de s’en souvenir. Le bonheur d’avoir rêvé. Le bonheur d’avoir imaginé. Le bonheur d’avoir su s’émanciper du réel. Comme un enfant devant un arbre de Noël, sauf à le lui interdire aussi.

   Sans doute avez-vous raison, Madame. Pour vous et la peur qui vous commande, la trouille qui vous gouverne de voir le monde tel un mauvais songe, un délire. Raison pour vous, mais pas pour eux, les enfants, qui ont besoin du rêve pour s’accomplir.

   N’avez-vous donc, vous-même Madame, jamais rêvé ? Vos semelles trop pesantes auront été et sont votre cauchemar.

(1) Virgile - L’Énéide - Chant II - vers 204

Commentaires

Unknown a dit…
Ils racontent n'importe quoi tous ces "politicars " , juste pour rester accroché à leur fauteuil doré , tout est bon pour faire parler de leur petite personne .
C'est beau ce que tu as écrit , Patrick .
Patrick Pike a dit…
Merci pour cette élogieuse appréciation.