La voiture de Cynthia

 

Photo site hollers-kinderfahrzeuge.de

   C’était au début des années cinquante. Nous habitions à côté du manoir des Delmas qu’occupait, tout en haut des allées du Mail, derrière le monument aux morts, le colonel Américain commandant la base de l’OTAN de La Rochelle et sa région. Mon père et ma mère y dînaient quelquefois.

   Ce colonel avait une fille. De mon âge. Cynthia. Je m’en souviens, j’étais déjà amoureux.

   Cynthia possédait une multitude de jouets et jeux ; entreposés dans une pièce qui lui était dédiée. Cet antre d’Ali Baba m’émerveillait. Nous y regardions des dessins animés projetés sur un grand écran blanc. Garée là, une voiture que j’aimais particulièrement me clignait des phares. Elle était d’une autre nature que nos tacots à pédale, ou de caisse en bois avec roues de patins à roulettes. Berline électrique ! Déjà.

   Alors, mon frère et moi, nous nous disputions pour parader au détour des allées du parc devant l’œil admiratif de Cynthia. Pendant ce temps nos parents discutaient d’avenir dans le salon du château.

   Électrique, il fallait bien sûr la recharger ou remplacer les piles, je ne sais plus, sinon nous devions la pousser. Ce n’était pas difficile. Modèle réduit, même avec son chauffeur resté au volant, la force de nos six ou sept ans parvenait à la déplacer.

   Pas comme de nos jours ! Imaginez une voiture électrique grandeur nature, une Tesla ou une Dacia, sans jus, sur le bord de la route. À mourir de rire ou de suffocation.

   J’ignore quel est le cerveau débile, donc écologique, qui a cru bon d'inciter ses contemporains à l’achat de tels engins, mais toute chose étant égale par ailleurs et nonobstant les pénuries actuelles en partie dues au dictateur en celluloïd moscovite, les risques de déboires inhérents au système vont survenir. Avec des autostoppeurs le long des routes, batterie vide dans une brouette en guise de jerrican sous le bras.

   J’ai reçu ce tantôt une publicité Dacia. La nouvelle Spring 100 % électrique. Elle ressemble désormais à une voiture ! Jusqu’à 305 km d’autonomie nous indique-t-on. À condition de rouler lentement, en ville, l’été, de jour, par beau temps, sans radio. Sinon à 125 sur autoroute et une température de 5 °C en dessous de zéro c’est 59 km d’autonomie, et encore sans radio, sans GPS, sans essuie-glace ni phares. Chiffres indiqués par leur simulateur. Une plaisanterie.

   La Tesla Model 3, pour comparer, annonce une autonomie de 602 km. Vraisemblablement dans les mêmes conditions que précédemment. Par conséquent pratiquement six fois moins sur autoroute, en hiver la nuit par temps de neige ou de pluie, autoradio à tue-tête. Mais, prudent, le site de la marque n’offre pas de simulateur pour se faire une idée du progrès. Une turlupinade.

   Bref, vous l’aurez compris, les bagnoles électriques c’est bon pour les enfants qui s’en amusent. Le reste n’est que rigolade.

   À moins de se trimbaler avec une remorque chargée d’accus de rechange ou d’inventer des batteries révolutionnaires, l’avenir, apte à faire tourner décemment un moteur électrique, appartient à l’hydrogène, à la fusion nucléaire ou à une autre source d’énergie qui reste à découvrir.

   Nos bonnes vieilles pompes à essence fossile, qui sont loin d’être taries malgré les grèves, les guerres et la spéculation, demeurent les seules acceptables.

   N’en déplaise aux thuriféraires de la fin du monde et aux chantres de la décroissance.

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